La cyber-diaspora de Daech

Bien que les forces de Daech aient perdu en 2017 le territoire physique en Syrie et en Irak qu’ils avaient commencé à conquérir en 2013, ils continuent à recruter et inspirer grâce leur présence en ligne. L’omniprésence des médias sociaux signifie que, même après la disparition du califat, l’idéologie du djihadisme salafi persiste sur le web en tant que califat virtuel, offrant aux aspirants djihadistes l’espoir que la prochaine grande bataille est imminente et qu’ils en feront partie.

L’internet est devenu la nouvelle capitale de Daech ; Facebook, Twitter et YouTube sont ses messagers et recruteurs pour la cause. Le recrutement vise principalement les préadolescents et adolescents en les attirant par le biais de la musique, des slogans et surtout des vidéos de décapitation.
Depuis sa création, Daech utilise principalement la communication en ligne pour sa propagande et son recrutement. Le mouvement centre son message atour du Jihad et promet aux futures recrues une transcendance et de l’authenticité.
Il suffit d’observer comment les jeux en ligne, les vidéos et la musique peuvent captiver l’attention et la passion d’adolescents pour comprendre l’engouement des futures recrues de Daech et les problèmes de supervision dont leurs parents doivent faire face. Cette situation mène, trop souvent, à des conflits internes dans les familles qui ont parfois déjà perdu des enfants, partis rejoindre les rangs de Daech ou d’autres organisations terroristes.

Le recrutement digital

Daech est le premier groupe terroriste à exploiter pleinement le potentiel d’internet pour recruter des sympathisants et propager son message. Si Al-Qaïda était la génération X des terroristes, alors Daech est clairement la génération des Millennials ; internet est utilisé pour les levées de fonds, les recrutements, entrainements, propagandes et opérations.
Daech envoie de la documentation et des liens vers du matériel promotionnel poussant à la radicalisation. Ils postent des vidéos de haute qualité sur YouTube, avec des graphismes lisses et de la musique entraînante. Ils savent comment transmettre leur message, combinant des combattants déterminés avec des chatons. Ils rendent le jihad amusant, excitant et attrayant pour un public en ligne.
Daech ne cherche plus à recruter des soldats pour aller se battre en Syrie, mais veut endoctriner des nouvelles recrues afin qu’ils lancent des attaques sur leur territoire et dans leur pays actuel. Ces attaques sont donc globales, effectuées par des loups solitaires recrutés, endoctrinés, formés et commandés par internet.
Le groupe terroriste a été en mesure de maintenir une production virtuelle cohérente comportant des milliers de vidéos, bulletins radio, magazines et aussi des messages moins formels, grâce à des applications cryptées comme Telegram et son propre réseau de sites Web. Au jour d’aujourd’hui, les principaux pays touchés par ces propagandes sont, dans l’ordre, la Turquie, les États-Unis, l’Arabie Saoudite, l’Irak et le Royaume-Uni.

Les gouvernements ont peur de l’intensification de la présence en ligne de Daech, mais ont un champ d’action limité. Premièrement, ils agissent principalement de façon réactive et non proactive ; deuxièmement, la loi et les juridictions sont régulièrement invoquées, tel le droit à la liberté d’expression ; troisièmement, la majorité des solutions web utilisée par Daech appartiennent à des institutions privées (Facebook, Google, Twitter, etc.) qui ne souhaitent pas policer leurs plateformes web à la recherche de contenus contestable (pas clairement illégale) et craignent être victimes des vengeances de hackeurs pro-Daech ou au centre d’une polémique discriminatoire.

Bien que la présence de Daech en ligne ne soit pas visible à ceux qui ne la cherchent pas directement, les craintes sont bien réelles et les messages des citoyens sont assez clairs : Le groupe de recherche Policy Exchange, think-tank au Royaume-Uni, a découvert, suite à une analyse sur 2’000 personnes, que les trois quarts d’entre elles souhaitent que des nouvelles lois érigent en infraction pénale le visionnage persistant de matériel extrémiste en ligne, et 73% d’entre elles pensent que la possession de propagande devrait être illégale.

Réaction des réseaux sociaux

Facebook, Twitter et d’autres entreprises travaillent à la répression de l’utilisation des réseaux sociaux par Daech et par d’autres groupes pour le recrutement et le terrorisme. Alors même qu’un débat a lieu sur la légitimité et sur le processus d’interdiction, il s’avère que c’est une bataille perdue. Pour chaque compte que les géants de la technologie ferment, une douzaine d’autres apparaîtront et répandront les messages de propagande.
Twitter a interdit des centaines de milliers de comptes, mais beaucoup migrent vers le service plus privé tel que Telegram, tandis que d’autres services comme YouTube et Facebook se sont battus sans relâche pour éliminer les vidéos de décapitation et d’immolation du groupe.
YouTube est dans une position plus délicate. De par ses algorithmes et de façon accidentelle, il pousse les utilisateurs à l’extrême. Plusieurs analyses montrent qu’après avoir regardé une vidéo YouTube, la suivante proposée sera dans le même registre, mais légèrement plus excessive afin d’inciter les spectateurs à continuer à regarder des vidéos. Ce procédé a tendance à polariser de plus en plus les messages montrés à un utilisateur de la plateforme et risque d’encourager une personne qui veut, par exemple, comprendre le message de Daech, à visualiser de nombreuses vidéos fondamentalistes et endoctrinantes.
Google, de son côté, a une expertise pour « deviner » la volonté de ses utilisateurs afin d’offrir les meilleurs résultats de recherche. Pour répondre à ces nouvelles menaces, l’entreprise est en train de développer un outil puissant pour appréhender les personnes les moins comprises et les plus dangereuses sur Internet : les recrues potentielles de l’État islamique. De surcroît, Google essaie non seulement de comprendre les intentions de ces prétendus djihadistes, mais de les changer. En utilisant une combinaison des algorithmes de publicité, de recherche, de Google et de la plate-forme vidéo de YouTube, ils ciblent les aspirantes recrues de Daech afin de les dissuader de rejoindre le groupe du culte de la violence.

Pour répondre aux tentatives de blocage par les grandes compagnies du web, Daech se retourne maintenant sur des plateformes plus décentralisées et anonymes telles que les forums sur le dark-web, Telegram et Diaspora.

 

La présence virtuelle de Daech et d’autres réseaux extrémistes est dangereuse et mène à des attaques dans le monde réel. Au jour d’aujourd’hui, il n’y a pas de solution permettant d’activement et efficacement lutter contre les messages haineux que ce groupe propage. La responsabilité pour limiter l’impact que Daech peut avoir dans sa cyber-diaspora incombe autant à la vigilance des parents, qu’à l’implication des réseaux sociaux, qu’au contrôle des gouvernements : pour l’instant, il semblerait que chacun préfère se dérober, plutôt que d’assumer sa part du travail.

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